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Charlot fait une cure (1917)

Extraits de

 Justin prend du Spectrum

 

JUSTIN.-   Une spécialité…Le brognet ça s’appelle…De temps en temps on trouve du brognet dans les supermarchés du Nord, mais rarement au-delà…Quelqu’un m’a dit en avoir vu dans un Champion, à Nice, mais à mon avis il a dû confondre.

                   

Merluin n’est pas la seule ville spécialiste du fromage à déguster chaud.

 

Tenez, dans le Nord, il y a le maroilles, fabriqué à Maroilles, pas très loin de Merluin.

(…)

Elle s’appelait Nadège, ce qui en russe veut dire espoir. C’est ce qu’elle m’a répondu quand je lui demandai si nous pouvions nous revoir le soir même. 

 (…)

 

VOIX.- Madame Anne Evrisme est attendue en salle de rééducation.

 

MONIQUE.- Si personne ne lui dit qu’elle s’appelle Anne Evrisme, elle risque pas de bouger.

 

MELANIE.-    C’est Natacha Terton au micro ?

 

MONIQUE.-   Elle-même.

 

MELANIE.-     Elle a déjà pris son service ?

 

MONIQUE.-    Apparemment.

 

MELANIE.-     Il ne faudrait pas qu’on arrive en retard le jour de la rentrée.

 

MONIQUE.-    Justin ! Justin !

 

                          Justin arrive

 

JUSTIN.-         Ces Mesdames…

 

MONIQUE.-   Ces Mesdames, elles attendent leur Bonic.

 

« Quantité de personnages portent des noms géographiques : des noms de ville par exemple comme Vidauban, Herblay, Marvejol, Saint Galmier. Il arrive du reste qu’ils soient choisis pour leur pouvoir évocateur comme Landerneau qui suggère un coin de province perdu ou Camaret qui fait songer au titre d’une célèbre chanson gaillarde. (…) Parfois le nom est emprunté à la littérature : ainsi il est question d’un escrimeur qui s’appelle Alfonso d’Artagnac.  Â»

 

                                                       ( In Le Théâtre de FEYDEAU d’Henry GIDEL, pp. 297 et 298, Editions Klincksieck, Collection Bibliothèque de l’Université de Haute Alsace, 1979)

« Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’ypoint penser. »

 

PASCAL (en exergue de Le Souffle de Thomas BERNARD, éditions Gallimard, collection Biblos, p. 211, 1990)

 

 

Le cœur de ce projet est la découverte de la pièce encore inédite de Rémi DE VOS  Justin prend du Spectrum écrite en 2005.

 

                                   Trois personnages, deux femmes et un homme : Monique 79 ans qui en fait 20 de moins, Mélanie 69 ans qui en fait 20 de moins, et Justin 22 ans qui en fait 20 de plus. Elles prennent du Dépressial, du Rigodal, voire du Sénilium. Il ne prend que du Spectrum.

 

                                   Nous sommes en 2050, on court après le temps pour retrouver cette jeunesse éternelle si convoitée, poursuivre cette quête humaine fantasmatique d’un arrêt du poids des années, conquérir le pouvoir d’en suspendre le cours.

 

                                   Tous les moyens sont bons : le recours à la chimie, comme aux bains de boue et à la chirurgie esthétique sont convoqués comme expédients.

 

                                   Monique et Mélanie reviennent de congés alors que Justin est resté à son poste de serveur dans cet établissement thermal où ils travaillent tous les trois. Il est constant dans sa vacance personnelle, et cette situation va donner lieu à l’acharnement des femmes sur lui.

 

                                   Comme toujours chez Rémi DE VOS, la thématique du travail est un moteur, un biais dynamique de son théâtre pour l’aborder de façon tangentielle. De Débrayage à Cassé, il en brosse un portrait lucide et terrible, en changeant son approche sans jamais l’aborder de front, mais dans ses conséquences implacables.

 

                                   La langue vive et incisive de l’éclair tient les personnages dans un désarroi dont nous nous échappons par un rire dévastateur.

 

                                   C’est d’un théâtre d’antichambre dont il s’agit, celui de leur lieu de travail. Revenues de leurs congés, les deux femmes s’apprêtent à prendre leur service en devisant sur le bien être que cela leur a procuré, quand Justin poursuit son service inlassablement.

 

                                   Le déroulement de la pièce est scandé par les appels d’une Voix de plus en plus en plus insistante convoquant les curistes pour leurs soins.

 

                                   Ce théâtre de « situation », qui ne peut se contenter de cette définition trop restrictive et figée, est celui d’une fascination irraisonnée des comédiens qui en sont « les clowns métaphysiques », tels Vladimir et Estragon d’En attendant GODOT.

 

                                   Justin prend du Spectrum, dans sa brièveté originelle de 2005 a été enrichi en 2017 par Rémi de VOS. Ainsi, le cours de cette vis comica est suspendue par trois monologues plaçant leurs protagonistes  en apnée. Absolue carte d’identité des personnages, confession intime de chacun, logorrhée débridée pour ces deux femmes et cet homme solitaire, dans le but de livrer dans un moment d’éternité où ils parlent pour parler sous l’effet d’un produit miraculeux qu’est la Parlotte, en précipitent l’accélération abyssale.

 

                                   Proposée par l’auteur comme des évidentes cartes de visite si étranges de vérité,  cette prise de parole solitaire successive amplifie le vertige d’une ronde triangulaire désaxée.

 

                                      Ces trois personnages ne sont pas dans une hiérarchie manichéenne où ils prendraient le pas les uns sur les autres, et seraient plus l’un que l’autre dans une vérité à sauver. Chacun dans leur identité est une partie de nous que l’on soit homme ou femme.                     

 

                                       La naissance  de cette nouvelle pièce de Rémi de VOS est le fruit de cette envie initiale  forte pour moi de devenir l’artisan d’un projet de mise en scène dont l’auteur est un partenaire immédiat.

Olivier Oudiou

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